Les processions dans la vallée de l'Artière

Morte et combien regrettée est la coutume des processions, cet acte de foi solennel de tout un village.
Beaumont,mars 1926
D'abord, les Rogations qui au matin des trois jours précédant l'Ascension, se déroulaient à travers champs, avant le lever du soleil, à l'époque où la nature sort de son long sommeil d'hiver. Durant le parcours, la male voix d'un chantre apostrophait un a un les saints les plus marquants du Paradis, et à chaque invocation, les nombreux fidèles répondaient les suppliants " Ora pro nobis " que la brise matinale éparpillait au loin, portant avec le champ sacré la bénédiction du ciel sur les blés en herbe, sur les bougeons naissants de la vigne, sur les fleurs des vergers, sur l'intrépide vigneron déjà courbé sur sa terre. Aux points les plus élevés du territoire : à ceux protégés par des croix champêtres, la procession s'arrêtait, et le prêtre, se tournant aux quatre faces de " jour, de nuit, de bise et de midy " , bénissait jusqu'aux extrêmes limites de la paroisse la terre et ses laboureurs.
Procession de saint Verny Procession de Saint Verny patron des vignerons, le dimanche suivant immédiatement le 20 mai, date à laquelle tout bon disciple du Saint ne devait plus avoir un lien d'osier à faire à ses vignes. Il n'était pas toujours facile d'être exact à ce terme, surtout quand la saison avait été rude, à cette époque ou pas un seul échalas ne passait l'hiver planté dans la terre. Nos pères l'arrachaient quand les premières gelées avaient dépouillée la vigne de ses feuilles. Ils le rassemblaient soigneusement " en bottes ", ou il serait à l'abri de l'humidité et de la pourriture, et le replantaient au printemps. Et il était de coutume de dire que la croix qui lui était dédiée au terroir de la Penderie, où l'on portait sa statue enguirlandée de magnifiques pampres vertes, Saint Verny embrassant d'un coup d'œil tout son domaine voyait toutes les bandes encore debout des retardataires, et ne manquait pas de mettre ceux-ci à l'amende. Mais comme il était bon saint, et qu'il connaissait fort bien les choses de la terre - car la légende locale nous apprend qu'avant que le bon Dieu l'appelât au rang qu'il occupe dans son Paradis, Saint Verny était tout simplement un brave home de vigneron qui avait saintement accompli sa tâche journalière tout au long de sa vie- donc , comme il connaissait bien les choses de la terre, comme il avait sans doute lui-même senti se réveiller ses douleurs - quand le fesoul pointu en main, le dos courbé vers la terre, il recevait sans broncher les giboulées de mars et d'avril, comme il avait éprouvé aussi que, ayant planté l'échalas des semaines durant, alors que n'existait pas le sabot à crochet, ses mains calleuses garnies d'échardes et striées de crevasses saignantes, n'étaient guère agiles a tourner les liens d'osier, comme il s'avait tout cela,, il paraît qu'il accordait sans trop se faire prier un délai de huit jours aux retardataires.
Ne croyez pas bon Saint Verny qu'il est préférable pour vous de ne plus sortir de votre église Saint Pierre, où vous parviennent a peine les bruits et le langage du dehors que vous ne reconnaîtriez plus pour ceux qui vous étaient familiers ? Que diriez- vous si l'on vous promenez à nouveau sur les sentiers de votre jeunesse ! Arrivant au sommet de votre coteau de la Penderie, quel coup recevriez vous au cœur en ne voyant plus votre croix ! ! lorsque revenu de cette émotion, vous ouvririez les yeux pour inspecter comme autrefois , votre apanage : " Ciel ! diriez-vous, pas une seule loue ! tout est échalassé a l'entour, c'est bien. Mais , là-bas, là-bas que manque-t-il que j'avais coutume de voir ? Ah ! mes noyers, mes grands arbres, mes vergers fleuris ! Et plus loin , plus loin qu'est ce donc ? On dirait des blés murs ! Des blés ! à la cime de la côte des Chaix, de Chaumontel, et de Champblanc ! et des blés murs en cette saison ! ! Et les vignes alors que sont-elles devenues ? C'est impossible : ce doit être quelque nouvelle culture d'invention diabolique !Vite rentrons je ne reconnais plus mon horizon - Oui, rentrons bon Saint Verny, car si quelqu'un vous chuchotait à l'oreille que maintenant on taille aussi bien en Novembre qu'en Mars avec un outil appelé sécateur- qui ne ressemble point du tout à votre serpe ; que la joie que vous avez ressentie tout à l'heure en ne voyant pas une loue à l'horizon, était du non pas a ce que le vigneron est plus vaillant qu'en votre temps, mais bien a ce qu'il ne déchalasse plus en hiver et se contente au Printemps d'enfoncer un peu plus chaque année l'échalas dans la terre jusqu'à ce qu'il disparaisse presque en entier ; que l'on promène à travers les vignes des chevaux traînant quelque infernale machine de fer, en jurant et sacrant à chaque échalas brisé ! que l'on peint les vignes en vert pendant l'été ; qu'on les arrache pour ne plus les replanter ; que ce que votre vue devenue basse vous donnait l'illusion d'être du blé mur au mois de Mai, est tout simplement du vigoureux chiendent dont les pousses successives sèchent là depuis des années ; que les caves où vous aimiez sans doute à aller boire " la tassée " chez tel ou tel de vos vieux camarades, sont en partie vides de leurs jolies de pièces sur lesquelles, en passant vous ne manquiez pas de taper deux petits coups avec le doigt replié pour juger de leur état intérieur, comme fait le médecin qui osculte un malade ; que dans quelques années vous n'aurez plus de raison d'être , car il n'y aura plus de vignes ni vignerons dans votre cher Beaumont devenu le faubourg d'une grande vile industrielle ; si on vous disait tout cela, et bien d'autres choses encore, vous mourriez a nouveau, mais de chagrin cette fois. ( A suivre)
Cette feuille est un supplément du numéro de Mars 1926 des Bonnes Lectures
Transcrit par Gérard BONHOMME
Merci aux personnes de Beaumont qui auraient des bulletins sur Beaumont de nous permettre de les consuler

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